Franchement, ces derniers temps, je commençais à m'ennuyer ferme. Toute cette liberté qui m'était accordée, cette possibilité de voyager sans remplir 12.000 autorisations préalables, ces visites au supermarché avec le visage toujours à découvert, cette absence de gel hydroalcoolique à chaque coin de rue, finissait par me peser.
Parfois, juste pour me remémorer les temps heureux du Covid, seul dans mon appartement, je ressortais mes vieux masques du placard, j'en enfilais une demi-douzaine, et le corps enduit de la tête aux pieds de gel hydroalcoolique, parfaitement nu, mon pass vaccinal autour du cou, j'allais de pièce en pièce, si ému de ces retrouvailles, qu'une érection tonitruante ne tardait pas à apparaître. Ou bien, je chantonnais la liste des noms successifs donnés au virus, Alpha, Beta, Gamma, Delta, Omicron, et mon cœur s'emballait comme transporté de joie.
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Que tout cela me manquait. Les vaccins. La cohorte des experts. Les points presse du gouvernement. Les courbes des hospitalisations. Le ballet des vagues qui se succédaient les unes aux autres en une sarabande endiablée qui n'était pas sans rappeler la montée du plaisir lors d'étreintes amoureuses. La doxa des antivax. Les tests. Les écouvillons. Les génomes. Les purificateurs. Tout ce folklore covidien autour duquel pendant des mois et des mois ma vie avait tourné.
Karine Lacombe, Antoine Flahault, Anne-Claude Crémieux, Eric Caumes, bien d'autres encore, mes très chers amis du Covid, mes compagnons de douleur, mes frères de sang, combien j'aurais aimé encore entendre leurs doctes conseils, leurs recommandations avisées, leurs préoccupations du moment que, d'un plateau de télévision à un autre, ils venaient nous confier comme ces prêtres d'autrefois qui s'en allaient d'église en église diffuser la bonne parole.
Qu'aurais-je donné pour revivre toute cette épopée glorieuse? Mon âme et encore plus. Depuis que le Covid avait cessé de nourrir mes inquiétudes quotidiennes, je n'avais plus goût à rien. Je dépérissais. Je m'enfonçais dans les affres d'un désespoir sans fin où la vie m'apparaissait comme un long fleuve tranquille, une affreuse récitation de jours traversés d'aucun drame si ce n'est le récit de quelques forêts occupées à brûler dans le lointain de pays jamais visités.
Covid-19: avec l'arrivée du variant Eris, le retour d'un protocole sanitaire?
Comprenez-moi, le Covid, c'était l'aventure au quotidien. Le risque permanent d'attraper un virus potentiellement mortel. Les attentes fébriles des dernières communications gouvernementales. Les repas de Noël mis sous cloche. Les vacances menacées. La grande angoisse de partir en voyage sans être sûr de pouvoir rentrer. Les menaces de confinement. Les grandes tentes blanches devant les pharmacies. La tragédie de l'existence magnifiée par l'émergence d'un virus dont personne ne parvenait à percer les mystères. Le bordel partout. L'alphabet grec décliné à l'infini comme autant de pages du Kamasutra dévoilées à nos yeux ébahis.
Du jour au lendemain, comme on bascule de la guerre à la paix, tout cela avait disparu. La parenthèse s'était refermée et avec elle, l'exaltation du danger tous les jours recommencée. Mais voilà que depuis quelques jours, j'entends monter la douce musique des temps jadis. Des inquiétudes se font jour. De nouveaux variants apparaissent. Au loin, dans l'arrière-cour des salles d'études, on perçoit ce qui pourrait être les prémices d'une possible vague d'infections.
À nouveau, d'une manière allusive mais néanmoins bien réelle, on évoque la possibilité d'un retour du masque. Ce n'est pas encore le grand soir, juste l'aube d'une nouvelle inquiétude qui se diffuse à bas bruit comme ces premiers grondements d'avant l'orage, quand il faut bien tendre l'oreille pour les entendre. On ne pavoise pas encore. C'est peut-être une fausse alerte. Certes, on le sait, le temps béni des confinements ne reviendra hélas jamais mais par ces temps de disette, on se contenterait allègrement d'une obligation de porter le masque dans les transports publics.
Si seulement cela pouvait être vrai. J'ai déjà passé commande d'une centaine de masques. Ils sont arrivés hier flambant neufs. Au moment d'ouvrir le paquet, j'ai été saisi d'un tremblement nerveux, de ceux qu'on éprouve au moment de recevoir le résultat d'un examen. Et quand, après bien des efforts et des tentatives ratées, je suis parvenu à extraire le masque de sa boîte avant de le porter à mon visage, j'ai senti de grosses larmes ruisseler le long de mes joues.
Des larmes de bonheur.
Pourvu que ma joie demeure.
Je croise les masques…
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