POURQUOI NOS TRAINS ONT-ILS PERDU LEURS LUXUEUX WAGONS-RESTAURANTS SI RéPUTéS IL Y A UN SIèCLE ?

Huîtres, filets de sole, grands vins blancs de Bourgogne… À l’heure du « sandwich triangle » mangé à toute vitesse, il paraît bien loin, ce temps où les repas ferroviaires avaient l’allure du raffinement. Mais alors, que s’est-il passé ? De l’avènement des luxueuses voitures-restaurants, à la création du wagon-bar des TGV, l’historien Arthur Mettetal nous embarque dans la grande épopée de la restauration ferroviaire.

Des tables nappées de blanc, des serveurs impeccables, des plats raffinés… et des paysages qui défilent sur une « symphonie de fer ». D’Hercule Poirot à James Bond, la littérature et le cinéma ont copieusement nourri l’image d’Épinal de la restauration ferroviaire. Un imaginaire fantasmé, qui détonne avec les wagons-bars de nos actuels trains à grande vitesse. Mais alors, comment est-on passé d’une véritable « gastronomie embarquée » au snack que l’on picore au comptoir des voitures 4 ou 14 du TGV ? Éléments de réponse avec l’historien des chemins de fer et commissaire d’exposition Arthur Mettetal. Spécialiste du patrimoine ferroviaire et industriel, il a cosigné, avec Géry Nolan et Jean-Pierre Williot, un ouvrage photographique intitulé Wagon-bar, une petite histoire du repas ferroviaire (2024).

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Arthur Mettetal, à quel moment les voitures-restaurants se développent-elles en Europe ?

Les voitures-restaurants se développent à la fin du XIXe siècle avec l’impulsion d’une entreprise belge : la Compagnie internationale des wagons-lits (CIWL). En 1883, elle inaugure l’Orient-Express et crée ensuite un réseau international de trains de luxe. Elle participe ainsi à la généralisation de cette pratique ferroviaire. On est dans un contexte où l’on commence à voyager sur de longues distances, tout en voulant gagner de la vitesse : d’où l’idée d’avoir des lits et des restaurants à bord des trains.

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Une vraie prouesse…

C’est une vraie prouesse technique et logistique, puisqu’il faut prévoir des magasins et des cuisines centrales pour le ravitaillement. Il faut aussi cuisiner à bord, dans des espaces qui ne font pas plus de 8 m². Les voitures-restaurants sont gérées par une brigade, composée d’un chef cuisinier et de son assistant, d’un maître d’hôtel, et de deux à trois serveurs. Les mets proposés rappellent ceux des « bonnes tables » parisiennes.

À quelle époque la voiture-restaurant connaît-elle son âge d’or ?

Dans les années 1920. C’est une période où le transport ferroviaire va aussi connaître des innovations en termes de restauration ferroviaire. À cette époque, la CIWL exploite des voitures-salons, considérées comme les plus luxueuses jamais construites : les « voitures Pullman ». Le terme fait référence à l’entreprise Pullman Car Cie, une compagnie anglaise qui exploitait ce type de véhicules en Grande-Bretagne. 

Les voitures Pullman sont aménagées avec de gros fauteuils, et décorées par des artisans d’art comme René Lalique ou encore René Prou. Avec les voitures-salons, le client n’a plus à se déplacer : on lui apporte le repas directement à sa place. Sur certains trains, on va même supprimer la voiture-restaurant.

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Quel est le devenir des voitures-restaurants au sortir de la Seconde Guerre mondiale ?

L’époque est marquée par une démocratisation des voyages en train. Il y a une évolution de la sociologie des passagers. Les envies et les pratiques alimentaires changent. La voiture-restaurant ne fait donc plus tellement recette en raison de causes diverses qui se cumulent : menus insuffisamment variés, prix trop élevés et, surtout, difficultés à pouvoir réserver une place. La durée des voyages diminue également. Entre 1939 et 1951, les voyageurs ont gagné trois heures et seize minutes pour rejoindre Nice au départ de Paris !

De nouvelles formules, qui répondent davantage aux attentes et aux goûts de la clientèle, vont alors se généraliser dans les trains, surtout dans les années 1960 et 1970. On pense à la vente ambulante, aux voitures « bar et snack » ou encore, aux voitures libre-service : les « Gril Express ».

Les « Gril Express » proposent aux voyageurs une grande variété de hors-d’œuvre ainsi qu’un choix de plats chauds à des prix inférieurs à ceux pratiqués dans les voitures-restaurants classiques. Ces innovations ne sont pas pour autant une rupture totale, mais complètent plutôt la gamme déjà existante de voitures-restaurants.

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À quel moment les voitures-restaurants disparaissent-elles ?

La cuisine va progressivement être écartée à l’extérieur des rames avec l’arrivée du train Corail (1975), et du TGV en 1981. La CIWL construit une cuisine centrale à Gare de Lyon à Paris, dédiée à l’avitaillement des TGV. Le réchauffé devient donc la norme. L’heure est à la démocratisation de l’offre et à la conquête d’une nouvelle clientèle plus jeune et familiale. De nouvelles formules de restauration apparaissent : c’est l’ère du plateau et du « sandwich triangle ».

Comme dans les avions, l’ajout d’une tablette à l’arrière de chaque siège permet aux passagers de consommer leur repas sans bouger. Les voitures-restaurants classiques et leur gastronomie mobile vont ainsi être reléguées au rang de folklore sur rails.

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À l’heure du slow-travel (voyage lent), les voitures-restaurants ont-elles de beaux jours devant elles ?

Le modèle ferroviaire français est basé sur la grande vitesse. On pourrait imaginer un renouveau des voitures-restaurants sur des lignes comme Paris-Nice, ou Paris-Toulouse… Mais le TGV n’est pas un modèle qui permet de s’asseoir pour déjeuner ou dîner. Aujourd’hui, il est néanmoins possible de faire cette expérience à l’étranger, dans certains trains dits « classiques », comme en Suisse ou en Allemagne.

Il existe aussi des croisières ferroviaires qui ont réintégré la voiture-restaurant comme un argument commercial majeur, et faisant partie d’une expérience à destination du client. C’est un marché qui se développe à travers le monde depuis les années 1980, via la relance du train de nuit de luxe.

2024-11-26T20:04:59Z