COMMENT VRAIMENT PROFITER DE SES VACANCES ?

Et si vous appreniez à profiter de vos vacances ? La question se pose, assure Lisa Letessier, psychologue clinicienne psychothérapeute et directrice-fondatrice du centre de psychologie Ennéade (Paris-Honfleur). Alors que l'hyperconnexion et le rythme effréné de nos vies modernes accablent nombre d'entre nous, la spécialiste invite à tirer pleinement avantage de ce temps de pause pour renouer avec le lâcher-prise et la joie, y compris à notre retour. À rebours des manuels prônant un optimisme forcené, elle publie Comment garder le bénéfice de ses vacances (éditions Odile Jacob). Un essai lucide et renseigné sur ce qu'on y place, ce que l'on peut en tirer et les meilleures façons de les mettre à profit pour les siens, et surtout soi-même !

Le Point : Dans votre essai, vous donnez des conseils destinés à nous aider à passer de bonnes vacances. Cela n'apparaît pourtant pas, spontanément, comme une difficulté?

Lisa Letessier ©DRFP
Lisa Letessier : Et pourtant ! Les vacances cristallisent, à elles seules, un certain nombre de problématiques (rapport à l'autre, à soi-même?) et peuvent potentiellement faire émerger de nombreux maux et difficultés. Par ailleurs, il n'apparaît pas évident à tout le monde de savoir appuyer sur pause et couper? Beaucoup souffrent de ce que j'appelle une « culpabilité du repos » (« Je ne devrais pas me reposer, alors que j'ai tant à faire »). Or, à l'heure où l'épuisement professionnel est monnaie courante, il semble crucial de s'y intéresser et d'y travailler pour soi-même.

Prêtez-y attention, et vous verrez que le thème des vacances est récurrent dans les conversations qui nous entourent. Au-delà du fait que beaucoup vivent dans la projection permanente de ces périodes de latence, il s'agit d'un sujet auquel nous voulons, en général, nous appliquer. Cet essai vise donc à savoir comment en tirer le meilleur?

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Vous fustigez, dans le même temps, la « dictature du positivisme  »?

Oui, car cette quête obsessionnelle de bonheur peut créer de grandes déceptions. Une forme de culpabilité aussi. De nombreux livres publiés aujourd'hui ? et il y en a de bons ? expliquent comment être heureux, en paix ou cultiver la gratitude. S'ils préconisent certaines bonnes pratiques, ils ont aussi le travers de culpabiliser nombre de personnes qui ne comprennent pas pourquoi elles n'y parviennent pas. Or, on n'est pas obligé d'être parfaitement heureux, encore moins 100 % du temps ! Nourrir ces attentes irréalistes est le meilleur moyen de créer des frustrations. Christophe André et d'autres grands noms de la psychologie positive ? qui est, elle, une vraie discipline ? rappellent eux-mêmes qu'il ne faut pas être dans une culture absolue du bonheur. Ce qui vaut, aussi, pour les vacances.

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Vous soulignez d'ailleurs que l'on se dispute souvent en vacances. Et que cela aurait à voir avec les neurosciences, expliquez-nous?

Tout à fait. Et ces disputes éclatent généralement après trois-quatre jours de vacances. Ce cap, qui peut être difficile à passer, est tout à fait normal. Durant les périodes de vacances, la zone de notre cerveau appelée cortex préfrontal ? laquelle s'emploie à prévoir, réfléchir, rationaliser et se voit très sollicitée lorsque l'on travaille ? se met au repos. Or il faut, en moyenne et selon son état de stress initial, entre trois et quatre jours pour que ce soit tout à fait le cas. Dès lors qu'on y parvient, on privilégie la rêverie, le vagabondage mental. Ce « mode » aide au repos, mais stimule aussi la partie émotionnelle de notre cerveau, comme notre mémoire? Ainsi, si les vacances peuvent être sources de partage et de reconnexion, elles peuvent aussi réactiver de vieux conflits, non-dits et tensions?

Il suffit parfois de la mauvaise compagnie d'une personne pour gâcher tous nos moments de récupération !

Vous insistez sur l'importance de bien choisir les personnes avec lesquelles on part et listez trois types de profils : le « râleur  », l'« angoissé  » et le « comptable  ». Ne risquez-vous pas de fâcher vos lecteurs avec leurs proches ?

Ce n'est pas mon objectif (rires) ! Beaucoup d'entre eux auront, d'ailleurs, les ressources nécessaires pour gérer ces travers. Aussi, la question que chacun doit se poser, en amont, est : suis-je capable, et d'attaque, pour les appréhender ? Il suffit parfois de la mauvaise compagnie d'une personne pour gâcher tous nos moments de récupération ! Mais si l'on ne veut renoncer à cette dernière, on peut aussi s'adapter, en évitant, par exemple, d'inviter la personne la plus angoissée de son entourage en road trip ! L'important est de préserver une forme d'équilibre entre soi et les autres ? ce qui vaut aussi dans des cas de figure où tout se passe bien.

Rappelons, par ailleurs, que le plus mauvais compagnon de vacances peut aussi être? soi-même. Le regard que l'on porte sur une expérience ? qu'elle intervienne ou non lors de nos congés ? change la nature même de celle-ci. Cela vaut particulièrement pour les voyages, mais aussi lorsqu'on ne part pas.

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Vous rappelez d'ailleurs l'importance de l'ennui. Faut-il s'ennuyer pour passer de bonnes vacances ?

C'est même crucial. Le problème est que, porté par notre envionnement hyperconnecté, on ne sait plus le faire ! Dès que l'on commence à s'ennuyer, on « scrolle » sur l'écran de nos téléphones portables. Cela peut révéler une peur du vide, de se retrouver face à soi-même. Mais ce comportement reste dommageable quand on sait les vertus de l'ennui sur la créativité et la rêverie. Et combien ces dernières peuvent, justement, à travers les mécanismes cérébraux que je décrivais précédemment, être favorisées par les vacances.

Vous consacrez aussi une large part de votre essai au retour des vacances. Pourquoi a-t-on souvent le sentiment qu'elles sont déjà lointaines alors même qu'elles se sont achevées quelques jours auparavant ?

Cela a encore à voir avec le cortex préfrontal. Lorsqu'on rentre de vacances, on abandonne subitement les habitudes que l'on y a prises et surcharge cette zone de notre cerveau. Résultat : on est épuisé en une semaine ! Aussi, le conseil que je donne est de « réenclencher » en douceur, quitte à ne pas reprendre le travail immédiatement. On peut aussi conserver certaines habitudes initiées pendant ses vacances (comme le temps passé à table, la pratique d'un sport?) dans son quotidien, pour que se poursuivent ses bienfaits et qu'ils durent dans le temps.

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Et que faire contre le « spleen  » qui peut nous assaillir au retour ?

Ce que je vais dire sera peut-être désagréable à certains, mais lorsqu'on est heureux de la vie qu'on mène, on est heureux de partir comme de revenir ! Si l'on est abattu par l'idée de rentrer chez soi, il peut être sain de se demander ce que l'on ne souhaite pas retrouver : est-ce mon travail, la ville dans laquelle je vis, certains de mes proches ? Qu'est-ce qui, dans mon quotidien, m'insatisfait au point qu'il m'est désagréable de le retrouver ? Cette question est d'autant plus pertinente si on a le sentiment de vivre en apnée entre chaque départ en vacances.

Ces dernières peuvent, en outre, permettre de mettre des mots sur ses problèmes relationnels. Certains couples en difficulté, par exemple, se retrouvent en vacances comme en lune de miel, quand d'autres emmènent avec eux tous leurs problèmes. Ces deux cas de figure permettent, à eux seuls, d'identifier si les difficultés qu'ils rencontrent sont internes ou externes. Ce qui permet possiblement de les régler. En cela aussi, les vacances sont vertueuses !

Comment garder le bénéfice de ses vacances, de Lisa Letessier, éd. Odile Jacob, 224 p. 22,99 ?, en librairie le 22 mai.

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